Dans une décision partagée rendue plus tôt aujourd’hui, la Cour suprême du Canada (CSC) a maintenu la décision majoritaire de la Cour d’appel de l’Alberta dans Chandos Construction Ltd. c Restructuration Deloitte Inc. en sa qualité de syndic de faillite de Capital Steel Inc., une faillie (Chandos)1.

L’effet pratique de cette décision est que, dans le contexte de procédures d’insolvabilité, certaines clauses contractuelles dont l’application est déclenchée par l’insolvabilité d’une partie contractante qui réduisent la valeur de l’actif de la personne insolvable sont nulles et ne seront pas appliquées par les tribunaux canadiens.

Contexte

Faits entourant l’affaire

Chandos, entrepreneur général, a donné en sous-traitance un projet de structure en acier à Capital Steel. Le contrat de sous-traitance comprenait une modalité selon laquelle Capital Steel acceptait de renoncer à 10 pour cent du prix du contrat si elle devenait insolvable, et ce, « à titre de frais pour les dérangements [causés à Chandos] liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens et/ou pour la surveillance des travaux », ci-après appelée la clause d’insolvabilité. 

Capital Steel a achevé une grande partie de son travail aux termes de son sous-contrat avec Chandos avant de procéder à une cession de ses biens.  Par la suite, Chandos a dû terminer la structure en acier du projet à ses propres frais. Deloitte a été nommée syndic de la faillite de Capital Steel. Même après avoir pris en compte les coûts d’achèvement, Chandos devait un solde sur les actifs de Capital Steel; cependant, Chandos s’est fondée sur la clause d’insolvabilité et a adopté la position selon laquelle elle pouvait déduire 10 pour cent du prix du contrat de la somme qu’elle devait. Sur la base de cet argument, Chandos a soutenu qu’elle ne devait aucune somme à Capital Steel. Le syndic a présenté une requête pour que la question visant à savoir si la clause d’insolvabilité était exécutoire soit tranchée par la Cour.

Décisions rendues par les tribunaux inférieurs

En première instance, le juge siégeant en cabinet a rendu une décision en faveur de Chandos. Il a conclu que la clause d’insolvabilité était semblable à une clause de dommages-intérêts liquidés et qu’elle était exécutoire dans le cadre d’une opération commerciale de bonne foi.

Le syndic a porté cette décision en appel.

La Cour d’appel a conclu, dans un jugement majoritaire, que la clause d’insolvabilité violait le principe de « fraude envers la loi sur la faillite »; plus précisément, la « règle anti-privation » qui empêche les créanciers de conclure des contrats visant à retirer des biens de l’actif de la faillite au détriment de l’ensemble des créanciers.  
 
Le juge dissident de la Cour d’appel a fourni des motifs détaillés dans lesquels il souscrivait à l’argument voulant que la clause d’insolvabilité respecte les principes de « liberté contractuelle ». Il aurait fait appliquer la clause d’insolvabilité. 

L’arrêt de la CSC 

La décision de la Cour d’appel de l’Alberta a été maintenue, dans un jugement majoritaire, par huit des juges de la CSC. La majorité a conclu que la clause d’insolvabilité était nulle et, en conséquence, non exécutoire.

Les éléments suivants ont joué un rôle essentiel dans l’analyse des juges majoritaires de la CSC :

  • la règle anti-privation continue d’exister en common law, même si elle n’est pas entièrement codifiée dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI);
  • la règle anti-privation invalide les modalités contractuelles qui empêchent que des biens passent au syndic de faillite; 
  • la règle anti-privation trouve application si les deux volets du test suivant sont observés : 1) la clause doit être déclenchée par une insolvabilité ou une faillite et 2) la clause (peu importe son objectif) a pour effet de réduire la valeur de l’actif.

Les juges majoritaires de la CSC ont qualifié la clause d’insolvabilité figurant dans le contrat de sous-traitance intervenu entre Chandos et Capital Steel de « violation directe et évidente de la règle anti-privation »2 , ce qui la rend nulle.

L’une des juges de la CSC a exprimé sa dissidence dans des motifs détaillés, faisant principalement valoir que la règle anti-privation ne devrait pas s’appliquer si une modalité contractuelle poursuit par ailleurs un objectif commercial véritable.

Répercussions

La décision majoritaire de la CSC confirme que les parties contractantes ne s’aideront pas en rédigeant, dans leurs ententes, des modalités semblables à une clause d’insolvabilité qui ont pour effet de réduire la valeur de l’actif en cas d’insolvabilité d’un cocontractant ou en raison de celle-ci.  

Cela dit, certains contrats comprennent des clauses dont l’application est déclenchée par l’insolvabilité d’une partie, mais qui ne réduisent pas clairement la valeur de l’actif; par exemple, lorsque l’insolvabilité d’une partie change la responsabilité de l’exploitation de biens en propriété commune. Cette question n’a pas été abordée par la CSC et il faudra voir si (ou comment) la décision rendue aujourd’hui s’appliquera à de tels contrats.


Notes

1   Chandos Construction Ltd c Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25.

2   Ibid au para 44.



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